L'ermite d'Aristote (messe, août 1470)

**Pie de Valence** Ven 19 Aoû - 14:58

La cathédrale semblait bien déserte depuis la dernière messe que le cardinal y avait dite en avril. Parfois, il se demandait s'il n'était pas le seul religieux encore un tant soit peu vivant en ces contrées bien qu'avec l'âge, une certaine lassitude le gagnât.

En ce 5 août 1470, il était pourtant là et comme il n'y aurait pas apparence d'une grande foule, il se dispensa de faire sonner les cloches et alla s'installer à l'autel d'une des chapelles latérales pour une simple messe qu'il entama par la traditionnel prière au Très-Haut.

Nous te prions, Toi, Dieu, Créateur du Ciel et de la Terre, des Hommes et des choses, Toi l'Eternel, afin que Ta Grâce s'étende sur Nous.
Nous ne sommes que d'humbles pécheurs qui avons besoin de Ta lumière pour ne pas sombrer dans le péché et de Ton amour qui seul sait Nous pardonner pour nous remettre dans le droit chemin.
Amen.

Le cardinal qui avait récité la prière tourné vers l'autel, se tourna vers les fidèles.

Mes biens chers frères et soeurs, soyez les bienvenus.

Vous connaissez sans doute ce passage de la Vie du prophète Aristote où il s'en prend à un ermite parce qu'il l'accuse d'être égoïste et de n'avoir pas compris le sens de l'amitié aristotélicienne parce qu'il vit seul, en harmonie avec la nature, en essayant de dépendre le moins possible du monde.

Or, cet ermite était-il si en tort que cela ? Etat-il vraiment cet anti-aristotélicien que décrit le prophète ou plutôt l'auteur de sa Vie ?

Ce que ce texte nous révèle, ce sont les contradictions internes à l'Eglise elle-même, avec,

- d'un côté, un courant qui penche vers le modèle érémitique et monastique, tous les deux inspirés d'Oane et de la première communauté qu'il a fondée. Il s'agit d'une Eglise des petites patries, des petits terroirs, de l'amitié aristotélicienne délimitée par un entre-soi perçu comme le modèle idéal de l'entraide, de l'interconnaissance et d'un certain idéal de petits propriétaires cultivateurs, éleveurs et artisans. Ils y voient, à tort ou à raison, un modèle d'harmonie, de pureté et de simplicité tendant à rapprocher l'humain de la Vertu par opposition à Oanylone, qui représente la ville du mal, du vice et du péché parce qu'elle s'est éloignée de ce mode de vie idéal des premiers temps de l'Eglise,

- d'un autre côté, un courant qui, au contraire, voit dans l'érémitisme et le monachisme une forme d'égoïsme et, parce que ces communautés ou ces ermites vivent en vase clos, un risque accru de dérives théologiques voire tendant à l'hérésie parce qu'ils sont plus soumis à la tentation de la libre pensée qui peut les amener à penser mal.
Pour eux, l'homme est un animal social et seul le groupe, parce que chacun surveille son prochain et chaque agit sous la surveillance de l'autre, peut réguler les comportements et empêcher les dérives théologiques voire plus.
Or, ce courant était majoritaire vers 1455, au moment où s'est produite la dernière réforme de l'Eglise, d'où tout une littérature hostile aux ermites et aux monastères, illustré par le passage de la vie d'Aristote dont je parlais au début de cette messe, mais aussi par le passage où Christos, dans le désert, est soumis à la tentation de la Créature Sans Nom et finit par lui résister.

Néanmois, ces deux visions me semblent idiotes car, aussi bien dans un cas comme dans l'autre, les tentations de dérives sont identiques et aucun des deux modèles n'est idéal, sinon il y a déjà longtemps que ça se saurait !

Aussi, la plus simple des solutions, puisque les deux tendances existent dans le Livre des Vertus où Dieu recense l'ensemble des possibles, c'est de choisir, pour soi, le modèle de Vertu qui semble le mieux nous convenir.

Car, seul, en petite communauté ou en communauté plus large, ce qui compte seul, c'est notre capacité à faire vivre où non la part de Dieu que nous avons chacun au fond de nous et qui nous fait tendre vers le Meilleur, donc la Vertu, ermite, moine ou vivant au lieu de nos semblables.